PROLOGUE ••« Arrêtes ça... » « Mais, il m'a dit de te dire que... » « Emrys, arrêtes ça je te dit. » bien décidé, le petit garçon de onze ans ne se laissa pas faire
« Maman, je l'ai vu. » « TAIS TOI ! » s'en suivit une claque et des pleurs. Non pas du gamin, mais de sa mère. Chamboulée par les mots de son fils, de ce qu'il lui répétait à longueur de journée. Elle était à bout, et la gifle était partie d'elle même. Une pulsion qu'elle s'empressa de regretter, et dans un nouveau geste, elle le prit dans ses bras. Les larmes perlaient toujours sur son visage
« Demain, je t'emmène voir la psychiatre. ». Le gosse avait le visage livide, comme si la claque venait lui faire prendre conscience d'une chose. La vie était une pute. Il venait tout juste d'avoir onze ans, mais cette prise de conscience était, est et sera toujours ancrée dans sa tête ; tel un souvenir impérissable. A partir de ce moment, il se promit de ne plus rien ressentir. Jamais.
PART ONE ••« Parle moi de toi. » Le grand jour était arrivé.
« Qu'est ce que tu veux que je te dise vieille peau ? Ma mère a déjà du tout te dire de moi. ». Celle-ci tenta de rester inexpressive, à l'instar de son patient, mais elle ne put renfrogner un visage livide devant ce cas qui s'avérait déjà compliqué. Bien sûr, Catherina Klinwood, psychiatre depuis vingt-sept ans, avait déjà connu des cas bien pires qu'un petit garçon de onze ans insolent, solitaire et
étrange, selon les dires de ses parents.
« Bien. Alors parle moi de Keith. » Elle avait retrouvé son calme, alors que son patient détourna son regard de la fenêtre pour se concentrer sur elle. Touché. Depuis le début de la séance, il avait les yeux perdus dans le paysage qu'offrait la baie vitrée de son cabinet, délaissant le canapé habituellement utilisé et par le même coup son interlocutrice, celle-ci assise, comme à chaque fois, sur son fauteuil, dossier en main. Elle le feuilletait d'un regard furtif, cherchant les points sensibles du garçon, afin qu'il accepte de lui parler. Après tout, ils, enfin surtout lui, étaient là pour ça.
« Et puis quoi encore ? » « Que te dit il ? ». Tous les enfants ont des amis imaginaires, ou tout du moins, tout ceux qui ont assez d'imagination et pas assez d'amis pour en avoir le temps. Emrys, lui c'était différent. Keith était différent. Il se tut. Il n'avait pas envie de parler de
lui.
« C'était quand la dernière fois que tu l'as vu ? » « Hier. » Touché. Il n'avait pas envie, mais il en ressentait le besoin. Cela faisait presque quatre ans qu'il essayait d'en parler à ses parents, mais ils ne l'écoutaient point. Il n'avait pas d'amis. Il fallait que tout ça sorte, telle une balle de fusil.
« Parle moi de lui. » « C'est mon frère. » « Mais tu es conscient qu'il n'existe pas ? » « Et vous, vous êtes consciente que le lapin de pâques il vous chie dans les bottes ?! » Touché.
« Qu'est ce qu'il te dit ? » « De vivre, et il me demande de faire certaines choses. » Le petit brun avait replongé son regard dans le vide, par la fenêtre. Il n'en restait pas moins qu'il lui parlait maintenant. Elle n'avait plus qu'à continuer sur cette voie là. Hésitante, et afin d'enchainer rapidement, elle jeta un oeil rapide mais pour le moins attentif à ses notes : Keith, frère jumeau, mort lors de leur quatrième mois.
« Hier, il m'a demandé de vider le réfrigérateur de la cuisine. » Catherina décrocha le regard de son dossier, et arqua un sourcil, surprise que le gamin lui ait parlé de lui-même. Il fallait percer dans cette voie, surtout ne pas laisser la brèche se refermer, installer un climat de confiance.
« Tu as suivi son ordre ? » « Oui, et ce n'était pas un ordre, c'était une demande. » « Qu'as-tu fait de ce qui se trouvait à l'intérieur ? » « Et moi est ce que je vous demande ce que vous faites de vos verrues de pieds ? » Et merde. Il fallait continuer, coûte que coûte. La séance n'allait pas tarder à se terminer, et elle n'avait que peu avancé. Bien que lors des premières fois, elle n'obtenait jamais grand chose de concluant, il fallait qu'elle garde l'opportunité de percer la carapace du gamin avant que ne sonne le gong de fin ; sinon il se méfierait et ne lui dirait jamais plus rien.
« Et l'école ? » « Poubelle. » « Pardon ? » « J'ai tout mis à la poubelle. » Étrange garçon. Un dernier coup d'oeil aux notes, fils désormais uniques de parents divorcés peu de temps après sa naissance -sûrement à cause de la mort de leur autre enfant- il était élevé par sa mère, et ne voyait son père que le week-end ; et pourtant, c'était à deux qu'ils l'avaient accompagné aujourd'hui. Comme quoi, l'instabilité psychologique et le souci de la santé de son enfant peut rapprocher les gens qui ne se parlent plus depuis des années.
« Je sais ce que tu vas me demander maintenant, toi, dans le même fauteuil qui enchaîne les rendez-vous et cas sociaux toute la journée depuis la préhistoire. Alors pour aller directement au but, parce que moi, je n'ai pas que ça à faire, je sens que Keith va me confier une mission ce soir ; je n'ai strictement rien ressenti à ce moment là. Rien. Nada. Nothing. Tu m'as compris ? Alors maintenant, tu peux aller dire à papa et maman que je suis fou, aliéné, débile, bizarre ou ce que tu veux. Tu peux même me demander de prendre des cachets bidons qui n'auront que pour effet de me faire dormir toute la journée, je m'en fous. Je les prendrai, ou pas, ça dépendra de mon humeur. Oui, j'ai onze ans, mais j'ai mes humeurs et je ne suis pas bête, j'ai déjà vu plein de films. Et puis, bien le bonsoir, j'ai rendez vous avec le Muppet Show moi. »Touché. Coulé.
PART TWO ••Six ans. Six ans que Catherina Klinwood avait annoncé à Monsieur Lyle et Mademoiselle Deeham que leur fils était diagnostiqué comme schizophrène paranoïaque. Six ans qu'elle lui faisait prendre des cachets, pour calmer ses crises de somnambulisme et ses hallucinations. Six ans que ceux-ci ne marchaient pas. Du vent tout ça.
« Hier, il m'a demandé de mettre le feu. Je l'ai fait. » le jeune homme éclata de rire. La psy, elle, ne bougea pas d'un cil. Des années qu'elle voyait Emrys deux à trois fois par semaine, alors elle commençait à savoir y faire avec lui. Comment le faire parler, éviter de le braquer, etc. elle connaissait les techniques. C'est pourquoi elle ne dit rien, et se contenta de le laisser finir de rire.
« Mais ils ont tout arrêté. Si ces saletés de pompiers n'y avaient pas mis leur grain de sel, le lycée aurait été à feu et à sang hier. » Il s'était calmé, probablement vexé qu'il n'ait pas pu accomplir sa
mission jusqu'au bout. Il n'était pas spécialement pyromane, non. Il était juste un adolescent en marge, intelligent mais perturbé. Bien qu'elle voyait de nombreux cas et qu'elle s'evertuait à dire que chacun était différent, Catherina ne pouvait ignorer que Emrys Lyle était le plus incroyable qu'elle n'ait jamais rencontré. Un cas vraiment différent des autres. D'ailleurs, comme les professeurs aiment en général prendre les extrêmes ; elle aurait pu jurer qu'à sa mort, il servirait de cas d'étude en fac de psycho' et médecine. Un jour voleur, l'autre pyromane, le suivant délinquant. Emrys était un garçon
spécial, c'était le moins que l'on puisse dire. Jamais deux jours se ressemblaient avec lui, et il ne faisait rien selon sa propre volonté. Il justifiait toujours ses crimes par le fait qu'on lui demandait de faire ça. Keith le lui demandait.
« Dis moi, à quoi ressemble Keith ? » Six ans. Six ans que cette question lui brûlait la gorge. Elle n'avait jamais osé le lui demander, ne trouvant jamais le bon timing et ayant toujours peur de le braquer en abordant son interrogation.
« C'est mon jumeau. » « D'accord. » voyant qu'il n'avait pas l'air décidé à lui en dire plus, elle se renfrogna et s'apprêta à changer de sujet quand il décrocha son regard de la fenêtre pour poser ses yeux sur elle. Il en profita même pour venir s'asseoir sur le canapé. Première fois en six ans, c'était inouï.
« Souvent, il porte un bandeau sur les yeux, je ne sais pas pourquoi. Mais il me ressemble, oui, parfois j'ai l'impression de me regarder dans un miroir quand je le vois. Torse nu. Je peux y voir toutes ses cicatrices. Et même son trou dans la gorge, à peine recousu. » Il la fixait intensément, comme si il avait encore un tas de choses à dire sur le physique de son frère mort, mais il se tu. Si la quinquagénaire ne connaissait pas par coeur son dossier, elle aurait eu besoin d'y jeter un coup d'oeil pour comprendre le sens de ses mots. Au lieu de ça, elle pu en profiter pour le fixer également, installant un silence qui ne gênait aucun des deux dans son cabinet. Keith était mort lors de son quatrième mois sur terre, d'un problème de poumons. Les pédiatres de l'hôpital avaient tout tenté pour le maintenir en vie, ce qui expliquait les multiples contusions qui avaient asséné son corps de bébé. Le plus étonnant, dans toute cette histoire, c'est que personne n'avait raconté à Emrys le fin mot de sa mort. Bien sûr, il savait qu'il était mort à cause de ses poumons, mal développés. Mais il n'était au courant de rien d'autre, ses parents l'avaient juré.
« Dis moi, à dix-sept ans, tu sors de temps en temps ? » « Oui, bien sûr. Les promenades... » « Non, ce n'était pas de ça que je parlais Emrys. » « Je sais. » Il n'avait aucun ami, Cate le savait. Il ne sortait pas, assistait à ses cours mais n'y était jamais vraiment. Son corps était présent, son esprit non. Un cas d'étude.
« Ce matin, il m'a demandé d'inonder notre salon. » « Tu l'as fait ? » « Non. » Surprise. Oui, elle fut agréablement surprise. Première fois qu'il refusait d'obéir à son
hallucination consciente, comme le jargon psychiatrique appelait Keith. Elle n'en croyait pas ses oreilles.
« C'était l'heure de notre rendez-vous. Mais je n'y manquerais pas en rentrant... » Fausse joie. Elle savait bien que les espoirs qu'elle plaçait en lui, en les médicament qu'elle lui avait prescrits et en leur thérapie étaient vains, mais elle ne pouvait s'empêcher d'en faire. Elle croyait en lui. La police connaissait bien Emrys, pour ses multiples frasques. Tout le monde désirait le placer en asile, où il serait apparemment mieux. Mais ses parents étaient catégoriques sur le non et la psychiatre également. Egoïsme ou souci de son patient, qui sait, elle voulait persévérer avec lui, comme elle le faisait depuis des années. Et si cela impliquait des incendies, des inondations et des séjours en prison, peu importe, ça devait se faire.
EPILOGUE ••« Un billet pour le premier bus. » « Très bien, quelle destination ?. » « Le premier bus. » « Paisley, par Glasgow. Départ dans 10 minutes. » il sortit quelques billets de sa poche, froissés
« Parfait. » Il fallait qu'il parte, loin d'ici. Alors qu'il se remémorait les raisons pour lesquelles il se sentait forcé de quitter la ville, il rejoignit le quai numéro deux. Cette fois-ci, il était allé trop loin, il le savait bien depuis que Keith lui avait demandé de faire ça. Mais il était prêt à le faire, et il s'y était déployé même. Il ne pouvait pas rester là, cette fois-ci c'était sûr qu'il allait finir en asile. Pas cool. Depuis presque quinze ans que Keith venait le voir, il n'avait jamais, selon les autorités "fait de mal à autrui". Alors que cette fois là, c'était bien le but de son acte. Agresser son patron, le gérant quarantenaire de la bibliothèque municipale n'était pas vraiment un acte pacifiste envers autrui. Le petit vieux en était rendu à l'hôpital, salement amoché ; et encore, heureusement que quelques inconnus avaient arrêté Emrys dans son élan. Sinon il se serait retrouvé à la morgue papy.
C'est ainsi que la veille de ses vingt-cinq ans, il quitta la ville qu'il avait toujours connu. Il faudrait recommencer depuis le début, mais ça ne lui faisait pas peur ; il ne ressentait rien face à cette nouvelle vie qui s'offrait à lui. Il prit place dans le bus, et son regard se perdit instantanément dans le paysage qu'offraient son pays. Verdure, ville et pâturages. Ce serait donc Paisley.